Vivre ma ville : Téhéran
Sara Saidi est une journaliste franco-iranienne. Elle vient de passer trois ans à Téhéran. La capitale iranienne, qui compte aujourd’hui 12 millions d’habitants, est une ville « extrême, mystérieuse et accueillante ». Sara Saidi y retourne régulièrement comme correspondante pour la presse française. Elle est l’auteure du guide Portraits de Téhéran paru aux éditions Hikari.
Quelle est votre histoire avec l’Iran : à quel moment y êtes-vous allée pour la première fois et quelle a été votre impression d’alors?
Mes parents sont Iraniens, ils sont arrivés en France dans les années 80. Je suis née et j’ai vécu à Strasbourg. Je me souviens avoir demandé à mon père d’aller en Iran lorsque j’avais 12 ans. Il me répondait qu’il faisait trop chaud l’été et que je ne supporterai pas. Je me suis aperçue plus tard qu’il avait raison ! Mais il y avait également chez lui cette crainte de retourner dans un pays où tout avait probablement changé. Il voulait conserver ses souvenirs de l’Iran d’avant son départ. Mon père a toujours ses oncles et ses soeurs sur place. Ma mère a encore de la famille éloignée.
Pour ma part, j’ai beau être née en France, j’ai grandi dans une famille iranienne. Il y a une part de cette culture en moi. L’Iran était partout à la maison. J’ai voulu découvrir ce pays car j’avais besoin de me compléter, au-delà de mon métier de journaliste et l’envie d’y travailler.
J’y suis allée en 2016. J’avais très peur qu’on ne me laisse pas entrer en Iran parce que je n’avais pas encore mon autorisation de journaliste à ce moment-là. Également parce que je ne savais pas si j’étais habillée correctement. Et puis rien de tout cela ! Ma première sortie, c’était place de la Révolution. J’ai commencé à parler aux gens, on évoquait l’accord sur le nucléaire qui venait d’être signé. J’étais étonnée de voir que les Iraniens parlaient assez facilement de politique, surtout les taxis, très bavards. Mon niveau de persan n’était pas très bon à mon arrivée et j’avais un accent français. Ils savaient que je venais de l’étranger. Mais ils étaient fiers que je veuille connaître la patrie de ma famille.
J’étais surtout très heureuse de pouvoir enfin fouler le sol de cette ville où mon père avait vécu. Le fait d’entendre ma langue maternelle dans les rues a également été très puissant. Je me suis souvenu de ces grandes tablées iraniennes, chez moi, quand j’étais petite. Je n’étais donc pas étrangère à ce qui se passait à Téhéran.
L’Iran est entourée de clichés pour nous, Occidentaux. Quels sont ceux qui collent à la peau de ce pays et de son peuple et qui sont faux ?
La première chose, c’est qu’on a tendance à croire qu’il y a d’un côté, les religieux conservateurs et de l’autre, les filles et fils de riches qui boivent de l’alcool en catimini. Ces deux extrêmes existent mais c’est oublier la majeure partie de la population, ces personnes qui ne sont pas religieuses mais traditionnelles. Je veux ici bien insister sur la différence entre « religieux » et « traditionnel ». Je crois pouvoir dire qu’une bonne partie de la population de Téhéran ne fait pas le Ramadan. Même si on parle du pays des Mollahs parce qu’il est dirigé par des religieux, les Iraniens ne sont pas des musulmans radicaux comme on l’imagine. Je veux aussi insister sur la force des femmes qui ne sont pas soumises mais hyper actives. Elles se battent tous les jours pour avoir un peu plus de liberté, parfois même au sein de leur propre famille. Mais on parle encore ici de « tradition » davantage que de « religion ».
Le tourisme en Iran se développe très vite, écrivez-vous dans votre guide. Mais le pays manque d’infrastructures pour accueillir ces nouveaux touristes. Comment voyez-vous les choses évoluer, et ce, après l’annonce du retrait des USA de l’accord sur le nucléaire et le retour des sanctions économiques ?
Les gens ont de nouveau peur. Il y a 3 ans, nous assistions à un boom touristique car les étrangers se disaient : « voilà une destination particulière dont on ne dit plus de mal ». Les entreprises françaises investissaient. Beaucoup d’Iraniens se sont greffés au secteur touristique, les jeunes ouvraient des guest houses, ils prenaient des cours d’anglais ou de français. Il y avait des vols directs de Paris à Téhéran. Récemment, le pays a peut-être un peu perdu de son attrait. Mais ceux qui ont séjourné en Iran sont les meilleurs ambassadeurs car ils ont aimé ce voyage. Ils ont constaté l’hospitalité et l’accueil des Iraniens.
L’Iran est le seul pays au monde dirigé par des religieux, avec le Vatican. La religion musulmane fait aussi un peu peur. Mais si mon voile tombe en public, je ne me précipite pas pour le remettre car je n’ai pas peur. Il faut sortir de ces idées reçues. Et puis Téhéran est une cité moderne, qui a un métro, de bons moyens de transports. La faute aussi, parfois, aux médias occidentaux qui ne relaient pas la réalité iranienne.
Vous avez été totalement séduite par Téhéran. Pourquoi ?
C’est le cœur de l’Iran, cette ville est extrêmement vivante ! Ça bouge, on y trouve une scène culturelle immense, on y voit des jeunes dans les cafés qui discutent, on entend des personnes âgées qui vous racontent des histoires du passé. C’est une ville qui ne dort jamais. C’est aussi ici que l’on vient faire ses études ou trouver un emploi, sa population est donc très jeune (en Iran, 55 % de la population a moins de 30 ans). Toute évolution de la loi ou tout activisme prend sa source à Téhéran.
Quelles sont les visites incontournables selon vous ?
Je conseille la montagne de Darband, accessible à pied en une heure de marche. À l’aube, on trouvera surtout les sportifs. En soirée, les familles et les amis s’y retrouvent pour boire le thé, manger, fumer le narguilé ou simplement se balader.
Pour y accéder, vous passerez par la place Tajrish, vous y verrez le mausolée de l’Imamzadeh Saleh accolé à un petit bazar, que je trouve plus sympa que le grand bazar de Téhéran.
Je préconise aussi de se rendre dans l’un des nombreux cafés de l’avenue Vali Asr qui mène de la place de la Révolution au carrefour Vali Asr, où se trouve le théâtre de la ville. Ce sont des espaces de liberté incroyable pour les jeunes, où se côtoient les hommes ET les femmes. Certains de ces cafés ont une scène musicale intéressante.
Le peuple iranien est reconnu pour son accueil et son extrême hospitalité. En contrepartie, quels conseils donneriez-vous aux touristes étrangers pour ne pas commettre d’impair en public et en privé ?
Les Iraniens sont très chaleureux et pourront tout pardonner. Vous pourrez faire beaucoup de faux pas, ils ne vous en voudront pas. Cependant, si vous êtes une femme, afin d’éviter tout malentendu, ne serrez pas la main d’un homme dès la première rencontre. Mettez votre main sur le cœur, c’est ainsi que l’on se salue. Sauf si la personne elle-même vous la tend ! Cependant, vous verrez très vite qu’officieusement, tout le monde se serre la main.
Concernant la tenue vestimentaire : un homme ne doit pas mettre de short ou de marcel, mais un pantalon long et un tee-shirt. Une femme doit se couvrir avec un pantalon et une tunique jusqu’au cuisses. Sachez qu’il y a énormément de respect envers la femme. Les Iraniens ont également tendance à vouloir tout payer si vous dînez avec eux au restaurant. Et ne refusez pas une invitation à partager un repas en famille à la maison, c’est la meilleure façon de rencontrer l’Iran.
Propos recueillis par Sabrina Rouillé.
Les adresses de Sara
Le restaurant
Azari traditional tea house :
Dans le quartier de la gare, ce restaurant très connu propose de bons dizins , un plat de viande et de tomates que l’on mange avec du pain et des légumes. Il est fréquenté par quelques locaux mais essentiellement par les touristes.
Rah-Ahan Square, devant l’hôtel de ville.
Pour un brunch
Nazdik café :
On y boit de très bons cafés, mais ils ont aussi un large choix de plats pour y manger. Vous pourrez profiter de la terrasse pour prendre l’un des meilleurs brunchs de la ville. Il y a également une librairie.
Karim Khan Zand boulevard.
Pour un bon café
Sam café
Situé dans le luxueux centre commercial Sam Center, ce café est vraiment chouette. On s’y installe sur de grandes tables en bois, le menu est attrayant, bien que plus cher que la moyenne. C’est un endroit chic qui peut surprendre quand on vient pour la première fois à Téhéran.
Fahazi street, Sam Center.
Retrouvez le guide Portraits de Téhéran sur le site des éditions Hikari
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